Artiste visionnaire, ses toiles sont les grandes faces des montagnes. Célèbre pour son style engagé et les lignes fluides qu’il dessine à grande vitesse, Christophe “Tof” Henry, est un athlète qui a réussi a s’imposer dans deux dimensions exigeantes du monde du ski : le terrain extrême et le design de produit.
Très créatif, amoureux de la nature et sensible à la beauté, il s’exprime finalement par l’action plutôt que par les mots. Sa raison d’être et sa quête ultime ? Jouer avec la gravité, ses sept sens en éveil, en touchant brièvement le sublime.
Sa relation avec le monde du ski a commencé très tôt. Comme la plupart des enfants nés à la montagne, il a chaussé les skis dès son plus jeune âge, et il a franchi toutes les étapes nécessaires pour devenir moniteur de ski à l’âge de 25 ans. Dès l’adolescence, son envie de bouger et d’être en montagne lui a fait comprendre que le monde académique n’était pas fait pour lui. Et, plus tard, au début de sa vie professionnelle, que les contraintes des compétitions de freeride ne lui permettaient pas de s’épanouir pleinement. Il a donc suivi sa voix intérieure, l’appel de la montagne et a eu la chance de trouver des mentors qui lui ont appris à canaliser son énergie, à créer ses propres défis et à être en sécurité.
Tof à un lien transformateur avec la montagne, au point de devenir un autre lui-même lorsqu’il enfile son équipement, revêt son costume de superhéros et flotte sur les faces nord abruptes, à peine touchant la neige. Il aime la montagne et la montagne l’aime en retour, ce qui lui donne un sentiment presque magique de fusion avec son environnement. Si aimer est un verbe et pour en faire l’expérience, s’exposer est nécessaire, alors les risques calculés qu’il prend pour accomplir sa vision semblent tout à fait naturels.
Nous vous invitons à faire connaissance avec ce personnage charismatique, à travers ses mots et à travers les objectifs de ses amis photographes.
Tof, qu’est-ce que le ski pour toi ?
Le ski, c’est la liberté. C’est pouvoir découvrir de nouveaux environnements, de nouveaux pays. Et, c’est surtout le plaisir, le bonheur et le sport de sensation qui m’apporte beaucoup d’adrénaline et beaucoup de joie de vivre.
Quand as-tu compris que le ski était ta vocation ?
J’ai su très tôt que le ski était ma vocation, que j’allais forcément faire quelque chose avec ça. J’étais vraiment attirée par les montagnes, par la glisse. J’ai commencé le ski hors piste à quinze ans, après, j’ai découvert la randonnée, les sauts, le ski poudreuse, la pente raide, et j’ai mis beaucoup d’années pour développer tout ça. Ça m’a pris quinze ans avant de devenir ce que je suis maintenant et j’ai appris tout seul, avec mes amis, et puis, avec mes mentors. J’ai eu des personnes qui m’ont un peu conduit à rêver et qui m’ont donné la confiance en moi, qui m’a permis de faire des trucs incroyables.
Quelles sont les personnes qui t’ont le plus influencé ?
La première personne qui m’a beaucoup aidée, quand j’avais 18 ans, s’appelle Pif. Il est un monoskieur. Il travaillait avec la boîte de ski Duret, dans la Vallée Verte. C’est une petite marque française de skis et de monoskis qui existe toujours. C’est tout petit, et grâce à lui, j’ai pu avoir mes premiers skis freeride et backcountry.
Je n’avais pas réellement de sponsors, pas de financement, mais j’avais des skis. Donc, c’est là que ça a commencé. Pif m’a aussi appris à skier en moyenne montagne dans la forêt, les couloirs, surtout au Brévent et aussi à l’Aiguille du Midi et le Skyway en Italie. C’est vraiment la première personne qui m’a fait confiance. Il trouvait que mon style de ski était adapté pour le ski de vitesse. Il m’a pris sous son aile et il m’a appris à être en sécurité, à lire la montagne, à déclencher des avalanches, savoir où il faut être léger quand tu entres dans une pente, à rentrer toujours très vite, très droit et toujours regarder très loin. Il avait une vision différente d’autres personnes. En fait, il avait la vision que moi, j’ai du ski : quelque chose de pur, quelque chose de rapide, qui n’existait pas. Il m’a donné beaucoup de confiance pour que je développe mon ski.
Après, j’ai rencontré Nate Wallace. Il avait aussi cette vision du ski comme moi : utiliser des gros skis, du gros matériel et aller très vite. Il était plus dans un état d’esprit de refaire des lignes qui ont été faites, pas forcément a faire des premières descentes, et il attendait les conditions idéales. Il sentait le bon moment pour réaliser ses descentes, très, très vite.
Nate m’a emmené beaucoup pendant dix ans. Il m’a donné le pouvoir et la confiance, qu’après, j’ai développé. À ce temps-là, je faisais beaucoup de répétitions. Nate m’a expliqué qu’il faudrait que j’aille vers la qualité plus que la quantité. Il faudrait que je réduise le volume et que j’arrive à lire la montagne, être smart avec mon corps, pour éviter d’être trop abîmé.
Le ski est vraiment physique, tu peux vraiment te blesser facilement. Il faut vraiment être préparé avant l’hiver, être bien connecté entre ton esprit et ton corps. L’idée est d’être en forme, au bon moment et au bon endroit.
Quelles sont les conditions de ski idéales pour ton style de ski ?
Ma vision du ski, c’est comme les personnes qui font du surf de grosses vagues. Ces personnes vont chercher les meilleures conditions d’une vague qui va peut-être fonctionner une fois tous les trois ans ou tous les quatre ans. Il faut trouver la houle parfaite et être au bon moment au bon endroit. Ces vagues peuvent marcher deux heures ou une demi-journée. En ski, c’est pareil. Il faut toujours être à l’affût et regarder l’évolution de la neige, des couches et de futures chutes de neige.
Cette année, c’est comment ?
C’est moche. Je crois que c’est la pire année que j’aie vécue comme skieur. Il y a eu des grosses températures, des grosses inversions, nous avons eu deux semaines d’hiver depuis le début de la saison. Sinon, c’est que des températures positives. De moins en moins de neige avec beaucoup de vent. Le vent, c’est vraiment quelque chose qui s’est beaucoup développé ces dernières années. Il neige et tout de suite, on a du vent dans tous les endroits. Le vent augmente les plaques, les avalanches, abime les faces nord, lave la neige, ainsi, il y a plus de risque de plaque avant et la neige va être abimée. On va moins pouvoir performer si la neige est ventée.
Au vent, s’ajoute le sable, comme le Sirocco, qui vient du Sahara. Quand j’étais jeune, ça arrivait vraiment une fois, tous les quatre ou cinq ans. Depuis deux ou trois ans, on a des gros cumuls de sable, il y a un cycle qui se passe en fait avec des changements de courants chauds, courants d’air froid et les perturbations qui viennent du sud. Et, la plupart du temps, elles viennent avec du sable de Sahara qui se dépose sur les montagnes. C’est le pire, cela crée une couche instable et des effets thermiques avec la neige. Toute la nouvelle neige qui va tomber sur ce sable va glisser. On va devoir attendre un nouveau cycle de neige pour pouvoir réussir à trouver des endroits qui ne sont pas attaqués par le sable.
Il y a beaucoup à savoir et à suivre si tu veux sortir hors piste.
Tu dois être tout le temps en montagne si tu veux progresser et si tu veux rester en vie. C’est ce que je dis aux gens, il te faut beaucoup d’expérience et une connaissance de ta technique. Et, surtout avoir en compte l’évolution de la neige et de savoir exactement où tu es dans la montagne et quand y aller.
Comment décrirais-tu ton style de ski ?
À part de trouver les conditions de neige idéales, je cherche des pentes soutenues que je vais skier le plus vite possible parce que c’est quelque chose que j’ai développé en fait à 20 ans. J’allais souvent à l’Aiguille du Midi pour skier le Glacier Rond et les Cosmiques. C’est là qu’on a appris à skier avec mes amis. On faisait 40 Glaciers Rond par hiver à l’époque, quand il y avait les conditions. C’est une pente à 45, pas très raide et on la skiait dans toutes les conditions, très vite et avec du matériel lourd. Sur ce terrain, on a toujours utilisé des skis de freeride. Je n’ai toujours pas compris pourquoi les gens qui font de la gravité utilisent du matériel de randonnée alors qu’ils ne font que descendre et qu’ils ne vont pas monter et mettre les peaux de phoque. On part de l’Aiguille, alors on descend. Nous avons développé ce ski avec du matériel lourd et efficace pour la descente.
Cote sensation, dans une pente à 45 – 50 degrés, quand tu dépasses les 100 km à l’heure, il y a vraiment un moment où tu ne touches plus la neige entre chaque virage. C’est quelque chose qui est difficile à décrire et à expliquer, parce que c’est comme si tu fais de la chute libre. C’est un peu du free fall, c’est quelque chose qui est unique, qui n’arrive pas pendant toutes les descentes. Tu tombes littéralement et tu ne touches plus la neige. Tu as vraiment très peu de surface de ski qui touche la neige et tu te sens aspiré par le vide. Et moi, c’est ça ce que j’adore et j’ai du mal à l’expliquer. J’ai du mal encore à en parler. Les gens ne comprennent pas, parce qu’ils n’ont jamais touché ça. Très peu de personnes peuvent parler de cette sensation.
Ce n’est pas un virage sauté, ce n’est pas quelque chose de lent. C’est quelque chose de très rapide, c’est littéralement du vol au-dessus de la neige. Et, moi, je vis pour ça. J’ai vécu mes derniers 10 années pour ces moments.
Ce qui m’a permis de me développer ainsi, c’est skier le Glacier Rond et Les Cosmiques en toutes les conditions, très, très vite. Dans les Cosmiques, parfois, je pensais que le radar devrait être à 130-120 km à l’heure. Cela m’a permis après d’aller encore dans de plus raide et de me dire que je pouvais skier à 80-70 km a l’heure, mais toujours très vite. Quand les journées sont parfaites, au Glacier Rond et Les Cosmiques, on est vraiment en haute vitesse, et on ne peut pas aller plus vite que 130-120 km à l’heure. Après, je me suis dit, je vais aller dans du plus raide et je vais réduire ma vitesse. J’ai été capable d’aller dans du 50, mais toujours très, très vite et plus vite que certaines personnes. Parce que je me suis entraîné dans du un peu moins raide, mais très, très, très vite. Tout ça m’a permis de développer des skills et une habilité à contrôler et à gérer ma vitesse.
Quelle est ta relation avec la peur ?
J’adore avoir peur, et ça, c’est quelque chose pareil, difficile à expliquer. Par exemple, quand je sais que les conditions sont dantesques, que je vais skier des faces nord ou des grosses lignes, mes mains vont transpirer pendant une semaine. Je me retire dans ma bulle et je mentalise beaucoup. Je mets tout à côté et je me prépare pour le jour J.
Quand tu te trouves dans le moment présent, dans le moment que tu as choisi, tous tes sens sont sur développés et tu as l’instinct animal. J’ai l’impression que je fais exactement ce que je veux, exactement au moment que j’ai choisi, j’y suis, et je développe un instinct de lion. Parce qu’il faut être agressif, présent, focus. Et quand tu joues ta vie, tous tes sens sont beaucoup plus développés : capacités de mémoire, capacité d’analyse.
Bon, après, le désavantage est que si je prends beaucoup d’adrénaline, je vais avoir du mal à redescendre déjà dans la journée, et pendant un ou deux jours après, s’il n’y a pas les bonnes conditions, si je veux faire autre chose, je vais être en grosse dépression parce que j’ai l’impression de ne pas vivre à fond, de ne pas développer ce que j’aime le plus et que je vais avoir une vie banale. Je dis toujours que l’on n’est pas les mêmes personnes dans la montagne, qu’en bas, dans la vie, dans la vallée. Nos vêtements de ski et nos skis sont comme un costume de superhéros qui nous permettent de développer une énergie… j’ai comme une boule de feu autour de moi, qui me protège. Comme si rien ne peut me toucher. Je suis indestructible, mais ça, c’est particulier. J’adore cette sensation.
La journée avant une descente, je regarde les vidéos que j’ai faites les années d’avant, pour revoir un peu les lignes. J’essaie d’anticiper le pire de ce qui peut m’arriver le lendemain : une chute, une avalanche. Et, si ça arrive, qu’est-ce que je peux faire ? Où est mon exit, où est mon plan safe ? Où je vais trouver la possibilité de m’en sortir ?
Et, ça m’arrive souvent, c’est que je m’imagine le pire dans plein de situations. Et, le lendemain, quand je suis dans l’action et qu’il se passe exactement ce que j’avais pensé, je sais que faire et c’est instinctif. Je ne suis pas en train de me dire, il faut que j’aille à gauche ou à droite, Qu’est-ce que je fais ? Comment je vais m’en sortir ? Je sais exactement ce qu’il faut faire, comme si je l’avais déjà vécu, comme si je l’avais déjà programmé. Et du coup, ça m’aide vachement. Ce n’est pas à 100 %, tu ne peux pas contrôler tout ce qu’il peut arriver, il est impossible de dire ça. Mais, j’ai une petite voix, comme une lumière dans ma tête qui s’allume quand c’est dangereux, surtout quand je guide. Quand j’emmène des gens, parce que là, je ne suis plus pour moi, je suis pour les autres et le principal, c’est que l’on soit toujours dans des endroits qui peuvent être très bons, dangereux, mais toujours que l’on finisse la journée en un seul morceau.
Qu’appelles-tu le septième sens ?
Le septième sens est le sens qui te fait apprécier les six autres sens. C’est la confiance dans le matériel et dans la préparation. J’ai une grosse préparation avec le matériel. Pour certaines descentes, j’ai vraiment des skis que je vais faire monter par la même personne depuis 20 ans. C’est David à Concept qui me monte toujours mes skis et me fait les préparations. Et, quand je suis au sommet de la montagne, je sais que j’ai les meilleurs skis du monde aux pieds, préparés par le meilleur préparateur du monde et j’ai la meilleure expérience du monde. Je suis même pas en train de me poser une question sur mon matériel. J’ai toutes les cartes en main. Je suis en forme, j’ai l’expérience, j’ai le matériel, donc j’ai plus peur.
Qu’aimerais-tu faire dans le futur ?
J’ai skié presque toutes les belles lignes à Chamonix, toutes les descentes majeures, en très bonne condition. Il me manque encore quelques descentes auxquelles je rêve, surtout sur le versant italien du Mont Blanc. Le bon moment là-bas est souvent en fin de saison d’hiver, début de printemps.
Il y a la Blanche de Peuterey, il y a certaines diagonales et certains runs vers la Brenva que j’aimerais vraiment réussir à faire en bonne neige, les skier très vite, ce qui n’a jamais été fait. Après, la plupart des lignes que j’ai déjà faites, j’aimerais bien les refaire. Ce sont des lignes qui m’ont laissé beaucoup d’émotion et beaucoup d’envie.
Ce que j’ai développé ces dix dernières années, c’est aussi de voyager et d’amener mon expérience dans les hautes montagnes. Et ça, c’est énorme. Quand tu apprends à skier à Chamonix et que tu développes ta technique et ton expérience ici, tu peux skier partout dans le monde et tu as une vision différente par rapport aux gens. Tu vas chercher quelque chose de plus esthétique, plus raide, plus engagé.
As-tu une destination de ski favorite ?
Ces dix dernières années, j’ai toujours été dans l’état d’esprit de découvrir un nouveau pays pour le ski et de nouvelles montagnes. Et, je suis parti dans les Andes il y a cinq ans en arrière pour découvrir le ski au Chili. La région où je vais c’est Cajon Del Maipo. Là-bas, j’ai vraiment des copains, des amis très proches avec qui j’ai passé des aventures marquées en moi pour toujours.
Au Chili, j’ai développé quelque chose que je ne connaissais pas : une énergie intérieure très profonde. Parce que tout est loin. Il te faut beaucoup d’approche. Je n’aime pas trop l’hélicoptère ou la motoneige. J’aime bien atteindre des choses par moi-même, avec mes jambes, mon cœur et mon regard. C’est ce qui va me développer tous mes sens quand je suis en montagne. J’adore la nature, j’adore la montagne et elle m’adore parce que je l’adore. Je la respecte beaucoup et elle me respecte beaucoup. Et, dans les Andes, j’ai pu développer quelque chose d’incroyable. Les montagnes sont énormes, magnifiques. Aucun topo n’existe, pas de secours, il n’y a pas d’hélicoptère et tu n’as pas le droit à l’erreur. Tu fais corps avec les éléments et tu n’as pas besoin d’argent. Là, je dois avoir une lecture parfaite du terrain, d’anticiper tous les dangers et réussir à me fixer un objectif, un point au sommet et d’être capable me dire : ma montée va se passer par là, je vais passer de telle façon. Il te faut beaucoup d’observation. On va sur le terrain, au pied de la montagne, regarder les éboulements, les débris qu’il y a sur la neige, l’exposition du soleil. À quelle heure le soleil va taper dans la face pour avoir le plus d’informations possible. On va essayer de se créer cette descente et cette montée dans notre tête, c’est quelque chose qu’on va travailler pendant plusieurs jours avant d’y aller. Et, quand on va y aller, on va pouvoir avoir une meilleure approche. On va être moins émotifs et on va avoir plus de confiance en soi parce qu’on a étudié le terrain, parce qu’on sait exactement où on va passer. Il n’y a pas de point d’interrogation, tout est tracé, tout est listé.
Parfois, la montagne nous réserve des surprises.
La science de la neige est inexacte, et si la montagne veut te manger, elle peut te manger. Et ça, c’est quelque chose qu’il faut accepter. J’ai perdu ma mère, j’ai perdu mon meilleur ami et la vie de famille la même année. C’était très triste, mais j’ai découvert quelque chose grâce à cette émotion profonde. J’ai plus peur de mourir. J’ai accepté que si la montagne a décidé que c’était ce jour-là, alors c’est mon destin et je me suis mis en tête que j’allais la respecter. Je vais être en forme, je vais accumuler de l’expérience et je vais me respecter moi aussi pour ne pas finir dans une avalanche, dans une crevasse, toujours être safe. Mais, j’ai accepté la mort et j’ai un rapport avec ça qui m’a permis de me développer et de devenir très, très fort. Tu ne peux pas être émotif et tu ne peux pas être faible en montagne. Il faut se battre comme un goal guetteur. Tu vas te confronter et tu n’es pas sûr d’en revenir, mais t’es obligé d’être comme ça. Si tu y vas à moitié, ça ne marchera pas. Tu es obligé d’être à 100 % dans ce que tu fais.
Comment as-tu commencé à développer des skis ?
J’étais déjà athlète international pour Armada, je skiais avec le Norwalk, un ski spécifique pour le freeride, qui avait un rocker en spatule et un talon assez simple. Et, à un certain moment, j’ai eu l’opportunité de créer mon ski que je voulais. Chez Armada je suis allé voir le patron, le designer, car j’étais le seul athlète qui se plaignait des skis. Je voulais un ski peut être plus difficile à vendre, plus spécifique, mais ultime et performant. Et j’ai toujours dit, créer une image de marque, créer quelque chose, même si on n’en vend pas, ou en vend peu. Les seules personnes qui vont skier avec vont être très heureuses de les avoir, et c’est ce qui s’est passé. On a commencé à créer une moule avec Daniel Ronnback, mon ami photographe qui a créé le film « Born in Chamonix ». On a pris un catalogue avec toutes les marques de ski, on a pris le ski Norwalk que j’aimais beaucoup et on a décidé de dessiner des caractéristiques du futur ski de mes rêves. Le ski est arrivé six mois après et pendant deux ans, j’ai travaillé dessus sur les flex, pour trouver le bon emplacement des pièces et pour créer le ski avec lequel j’allais performer. Deux ans après il est sorti en série zéro. Armada a toujours fait là « Zéro Collection », quelque chose de spécial en très peu de volume. Chaque athlète, on développe des skis de cette façon avec Armada.
L’année d’après, le ski est sorti en production. On a fait une Declivity et on a décliné ce ski en plusieurs tailles et en différentes largeurs. Armada a toujours fait des skis hors piste et pour le freestyle, mais jamais pour la piste. Et, je leur ai dit, qu’on doit faire un ski pour les pistes et un ski pour le freeride, agressif. Je voulais développer un ski en champ droit comme des skis de race. Ils m’ont fait confiance et on a pu créer ce ski. On a décliné ce ski en version plus fine pour la piste et le ski a fonctionné très, très bien et on continue avec cette famille de ski qui marche très bien. Je développe actuellement un nouveau ski pour l’année prochaine. Le mien fait 115 sous le pied et là, on va travailler un nouveau 108. Et, peut-être, mon ski, dans une version plus légère, pour qu’il soit un peu plus accessible pour la randonnée, pour aller plus loin. Mon ski, le Declivity X est exigeant, il est lourd et très agressif et il faut être très bon skieur pour pouvoir développer un bon ski dessus.
J’ai maintenant le ski de mes rêves avec une signature dessus. C’est quelque chose que petit, jamais j’aurais pu imaginer. Je suis un des seuls skieurs français à avoir mon nom sur mon ski et j’en suis super fier. C’est incroyable. Je skie avec des différents skis Armada, différentes gammes. Mais, quand je suis sur mes skis, j’ai tout de suite un sourire qui vient sur moi. Parce que je me sens à l’aise dessus, parce que je sais que c’est le prolongement de mes pieds. Et, plus la neige va être compliquée, plus ça va être raide, mieux je vais me sentir. Je sens que le ski est très sain et va me donner beaucoup de confort et de fiabilité.
Quels sont les autres produits sur lesquels tu travailles ?
Je travaille avec POC (lunettes & masques de ski) et j’ai vraiment pu développer aussi l’image de marque en haute montagne pour eux. On travaille sur un nouveau casque pour la haute montagne et pour la randonnée, qui va sortir bientôt. Quelque chose de léger et beau. Parce que la plupart des personnes font de la randonnée avec des casques d’alpinistes et c’est vraiment moche. Cela ne ressemble à rien. J’attends le prototype, je suis super excité.
On a parlé de succès. Mais, on dit que les échecs sont les meilleures opportunités d’apprendre. Qu’est-ce que t’en penses ?
Je suis d’accord. Bon, évidemment, tu apprends de tes échecs et la montagne te remet en place. Quand j’avais 18, 20 ans, j’ai eu de mauvaises expériences, à ne pas être au bon endroit au bon moment. Et, après, j’ai compris qu’être un bon skieur, apprendre a lire la neige, cela prend du temps. Tu apprends de tes erreurs et tu te blesses beaucoup. Dans beaucoup de situations, je me suis blessé un peu bêtement, en faisant des sauts aux mauvais endroits, pas dans la bonne neige. Des descentes qui ne valaient pas la peine, parce que ce n’étaient pas les bonnes conditions et j’y étais. Finalement, je me suis mis peur et je n’ai pas fait de beaux virages, j’ai désescaladé toute la face, vraiment des trucs pas intéressants. Et, voilà, j’ai appris tout ça, qu’il ne faut pas être dans le rush. Il faut avoir l’appel de la montagne et son sentiment que c’est le bon moment.
S’il n’y avait pas le ski, dans quel contexte l’artiste Tof se sentirait-il épanoui ?
Je ne sais pas. Il est difficile de répondre parce que dans toute mon histoire passée, dans les mauvaises expériences et dans tous les évènements lourds dans la vie personnelle, j’ai remarqué qu’en réalité, plus tu passes dans des endroits très dark, plus tu vas développer des trucs incroyables. Et, je sais que je ne serais pas devenu cette personne-là si je n’avais pas eu ces contretemps et ces expériences difficiles à vivre. Cela m’a permis de développer des choses que je n’aurais pas développées si j’avais eu une vie plus simple, plus normale.
Par exemple.
Je pense que si j’étais resté en couple avec la mère de mon fils, je n’aurais pas voyagé autant, je n’aurais peut-être pas pris autant de risques et je n’aurais pas créé ce septième sens, cette chose unique en moi, qui me permet d’évoluer sur les skis et de développer quelque chose d’artistique. Grâce à toutes ces épreuves je suis devenu la personne qui je suis maintenant.
Qu’aurais-tu choisi si tu n’avais pas découvert le ski ?
J’aurais choisi un autre sport extrême. Je fais du parapente depuis deux ans. Depuis quinze ans, je veux faire du parapente, mais j’aime trop le ski. Je pense et je me le suis toujours dit que si j’allais commencer le parapente et que si je l’aurais trop aimé, j’allais mettre ma carrière de ski à côté. Et, c’est pour ça que je me suis toujours promis de ne pas voler et de faire ma carrière de ski et d’être à fond dans le ski avant de pouvoir commencer le parapente. Il y a deux ans, j’ai commencé le speed riding.
La première année, j’ai fait 200, 300 vols en parapente pour ne plus être débutant et pour être dans un stade dans lequel j’ai une bonne expérience et je n’ai plus peur. J’ai cinq voiles et je touche à tout. Comme le ski. J’aime bien être très polyvalent. J’ai une voile pour speed riding, une voile light qui me permet de marcher et de voler n’importe où, une voile pour le sable pour pouvoir faire du soaring, une voile pour le cross, qui me permet de passer des heures et des heures, et prendre des thermiques et une voile d’acrobatie pour faire des stunts.
En voyant l’évolution des hivers qui sont de plus en plus secs, la voile te permet de skier une pente, et après décoller et arriver en bas très facilement, en évitant les rappels et les risques inutiles. Tu skies la belle partie, et celle du bas, qui est plutôt dangereuse que skiable, tu vas éviter en volant.
Les années dernières, j’ai réussi à faire des combinaisons de vol et de ski, des combos qui m’ont montré des choses incroyables, de décoller de l’Aiguille du Midi, de poser aux Grands Mullets, de cacher ma voile, de monter aux peaux de phoques au sommet du mont Blanc, de skier la face nord du Mont Blanc, de reprendre ma voile et d’être à 13 heures à Chamonix, chez moi. Normalement, il faut un jour et demi pour faire un Mont Blanc, ou un peu moins. Là, en cinq heures, je fais le Mont Blanc et je ne suis pas fatigué et j’ai évité les crevasses, les zones à risques, parce que je volais. C’est ça l’évolution. Être capable de skier de belles lignes et de décoller en bas ou d’accéder en parapente pour pouvoir skier. Avec l’évolution du climat, il faut et on va de plus en plus vers cette capacité de développer des combos avec la voile et le ski.
Qu’est-ce qui te fait sortir du lit le matin ?
Je prépare mon aventure. J’adore la nature, j’adore être pieds nus dans la forêt, j’adore les levers et les couchers de soleil. J’adore quand c’est dur. Et, ça, les jeunes ne connaissent pas. Ils veulent que tout soit facile, que tout soit consommable et ils ne développent pas le gout de l’effort. C’est dommage, parce que plus c’est dur, plus tu apprécies les choses simples. C’est là que tu te rends compte qu’on a de la chance de vivre ici et je suis tout le temps dehors. Je n’aime pas être dedans. Je passe ma vie dehors.
Interview par : Anca Berlo | Février 2023
Crédit photo couverture : Mathurin Vauthier
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